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Rencontre avec Mongezi Ncaphayi

Interview réalisée pour Artskop en septembre 2020.

Mongezi Ncaphayi était récemment à Atelier le Grand Village en résidence d’été (29/07/2019 – 25/08/2019). Situé en Charente-Limousine, créé et dirigé par Francis van der Riet, l’atelier a pour objectif de faire revivre l’art de la lithographie sur pierre. Dernièrement, l’Atelier a été invité à participer, en octobre prochain, à la foire d’art contemporain africain 1-54 à Londres en tant que projet spécial. Nadège Besnard est partie à la découverte des préparatifs de l’atelier avec l’artiste et graveur Mongezi Ncaphayi.

« Ouvre-toi à ton moi intérieur, c’est l’inconnu de ton être profond ».

Mongezi Ncaphayi
Mongezi Ncaphayi, Assimilation Dreaming III, 2019.
76 x56 cm. Monotype I/I. Oeuvre unique.
© Mongezi Ncaphayi et Atelier le Grand Village

Nadège : Mongezi, tu es venu régulièrement à l’Atelier le Grand Village ces cinq dernières années. Comment te sens-tu quand tu es à l’atelier ici ?

Mongezi Ncaphayi : C’est paisible, agréable, calme, comme une retraite. Je viens ici pour me changer les idées, pour travailler sur des lithographies et différents médiums. Je viens ici pour prendre un nouveau départ et explorer de nouvelles idées, voir comment les choses évoluent. C’est un excellent endroit pour travailler.

N : Et qu’en est-il de l’atelier en lui-même ?

M : J’aime l’ambiance de l’atelier. Il ne ressemble à aucun autre où j’ai travaillé. Ici, c’est la campagne. Il y a la grange qui a été transformée en atelier, associée aux fleurs, le jardin, et quelques vieux trucs rustiques.

Je n’ai pas l’habitude de ce genre de choses, je suis un citadin. J’ai l’habitude des choses en ville. C’est un soulagement d’être ici, loin de la ville. L’air est différent ici. Francis a récemment installé une plus ancienne presse de lithographie; Tout cela fonctionne bien et semble faire partie de l’environnement. J’aime venir ici parce que nous nous concentrons à faire revivre la lithographie sur pierre, qui est plus traditionnelle.

C’est l’une des principales raisons pour lesquelles j’aime venir ici. J’aime la pierre. Nous remontons dans le temps pour faire les choses de façon traditionnelle.

N : Dis-moi quelles sont tes principales influences dans ton travail actuellement ?

M : J’ai étudié l’abstraction. Je peignais et je réalisais des œuvres figuratives, mais j’ai grandi avec beaucoup de musiciens qui écoutaient du jazz. J’étais dans mon studio à écouter de la musique, la plupart du temps, le volume presque à fond. Je travaillais et soudain, à un moment donné, mes pensées changeaient. Au lieu de simplement travailler en écoutant de la musique, je créais quelque chose en lien avec ce que la musique me faisait ressentir à ce moment précis. Je voulais traduire cela et c’est pour cette raison que j’ai commencé à créer des abstractions. J’ai toujours voulu faire de la musique et de la peinture, je voulais les incorporer dans mon travail. La musique, c’est aussi une question de ressenti et je veux l’exprimer dans mon travail.

« L’exploitation minière, l’histoire, le déplacement et la migration, ce sont tous des sujets que je traduis en abstraction. »

Mongezi Ncaphayi

L’endroit où j’ai grandi m’influence aussi. J’ai grandi dans une petite ville qui était autrefois une petite ville minière à Benoni, à l’est de Johannesburg. Mon histoire personnelle, l’histoire de ma famille, l’histoire de la ville, celle de l’Afrique du Sud, sont les principales influences qui m’ont mené là où je suis maintenant. Même si mon travail a changé par rapport à la représentation, il a toujours le même contenu que celui avec lequel j’ai commencé. L’exploitation minière, l’histoire, le déplacement et la migration, tout cela se traduit en abstraction. Ce sont des questions auxquelles je pense encore et c’est quelque chose que je cherche encore, que j’essaie d’explorer.

Mongezi Ncaphayi devant Atelier le Grand Village.
© Crédit photo Artskop3437

N : Que penses-tu des lieux où tu as travaillé ?

E : Je suis venu sans aucune connaissance des techniques d’estampes. Ce séjour m’a permis d’apprendre la lithographie pour la toute première fois et ainsi de toucher à de nouvelles matières, textures, odeurs dans un environnement complètement différent de celui dans lequel j’ai l’habitude de travailler.

M : J’aime travailler dans des lieux différents. Des lieux différents produisent des œuvres différentes. Ici, à l’Atelier le Grand Village, c’est calme. C’est l’environnement qui détermine le type de travail qui en résulte. À Johannesburg, c’est hectique. Actuellement, je travaille dans la ville du Cap, mais je ne travaille jamais à partir d’un seul endroit. Toutes mes œuvres des cinq ou sept dernières années viennent d’endroits différents : Johannesburg, Le Cap, Atelier le Grand Village en France, les Pays-Bas et les Etats-Unis. Ma famille vit aussi à plusieurs endroits. Je peux aller voir ma grand-mère et ensuite décider d’aller voir mes cousins ou mes amis. C’est pourquoi mes œuvres traitent du mouvement, de la cartographie.

N : Peux-tu m’en dire plus sur tes choix de titres d’œuvres d’art ?

M : Il y a quelque chose de poétique. Il y a tellement de sens dans mes titres. Comment en arrivent-ils là ? Parfois, ils proviennent des objets avec lesquels je travaille, quelque chose que j’ai vu. Parfois un bruit dans l’environnement. Il s’agit de ce que je ressens à propos du travail et d’autres choses qui se passent. Mon travail peut porter sur mon histoire ou d’autres choses, mais c’est aussi sur les idées que j’ai, qui se produisent. Il y a tellement de choses qui se passent dans mon esprit lorsque je travaille, car je ne travaille pas essentiellement que sur une oeuvre au quotidien. Le lendemain, je peux me sentir différent. Mon esprit est occupé par beaucoup de pensées.

Il y a ce titre « Idiot de ronds points » – Nous allions avec Francis à Angoulême et il y avait beaucoup de ronds points. Quand nous sommes revenus à l’atelier, alors que je travaillais sur une lithographie qui demandait tant de couches pour paraître complète, j’avais l’impression de tourner en rond, comme un idiot. C’est comme ça que ce titre est né.

« (…) tu ne danses pour personne, tu danses pour ton moi intérieur. »

Mongezi Ncaphayi

Il y a aussi ce titre « La forme des choses à venir » d’une lithographie créée en 2015 et inspiré d’un de mes compositeurs de jazz préférés, Ornett Coleman. C’est la toute première lithographie sur pierre que j’ai faite ici en France, quand j’ai commencé à travailler avec Francis. C’était comme un nouveau départ, d’une suite de choses à venir…

N : Penses-tu à un ensemble d’œuvres avant de venir à l’Atelier le Grand Village,
ou laisses-tu ton instinct te guider ?

M : Je me suis rendu compte que lorsque je travaille instinctivement, l’oeuvre est plus expressive. Si je réfléchis trop en amont, cela devient un peu rigide. Ça pourrait être sympa, mais on ne ressentirait pas vraiment le mouvement qui, lui, est plus spontané. C’est aussi une question de confiance, faire confiance en son instinct, d’être soi-même. J’ai pensé à faire des dessins préparatoires, mais j’ai finalement j’en suis venu à comprendre que ce n’était pas bon pour moi. Je ressens plus de choses, quand je fais tout instinctivement. Je m’accorde quelques minutes et ça fait POP. Il s’agit de ce que je ressens au moment présent quand je travaille. Cela s’assimilerait une recette, mais pas à une formule exacte, sinon mon travail serait alors le même. C’est pour cette raison que je découvre toujours de nouvelles choses quand je travaille.

Mongezi Ncaphayi,
Still Moving, 2018. 76 x56cm.
Oeuvre unique. © Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de l’atelier le Grand Village

Il ne s’agit pas seulement de peindre ou de faire quelque chose que je connais, il s’agit aussi de découvrir de nouvelles choses comme une forme ou une marque. C’est plus une question de recherche. Mes œuvres sont comme des cartes, cherchant des chemins, permettant de recevoir des choses, permettant d’être exposé à quelque chose de nouveau. L’instinct est important. C’est comme si vous aviez une carte, vous alliez dans un endroit inconnu, vous devrez peut-être sauter ou nager, et vous aurez peur mais vous le faites quand même. Plus tard, vous découvrez que La carte avait raison, et, vous contemplez votre découverte. Ouvre-toi à ton moi intérieur, c’est l’inconnu de ton être profond et l’autre aspect de toi que tu ne connais pas. Pour voir l’inconnu, il faut s’ouvrir et évoluer afin de devenir de meilleures personnes – la découverte de soi, et ainsi de suite.

Ces émotions qui ne peuvent être ignorées se reflètent dans le travail. Demain, je me sentirai peut-être différemment, puis je réfléchirai à mon humeur d’hier. Donc, le lendemain, la carte sera différente. Le ressenti est important. Tu te laisses libre, tu ne danses pour personne, tu danses pour ton moi intérieur.

N : Tu as reçu récemment ce prix à l’INVESTEC foire d’art de la ville du Cap.
Et puis tu participes à 1-54 Foire d’Art Contemporain Africain à Londres avec l’Atelier le Grand Village, puis la foire de Lagos, plus d’autres résidences et spectacles prévus par la suite. Comment-te-sens-tu par rapport à toutes ces attentes ?

M : C’est éprouvant. C’est une pression, mais je n’aime pas le voir ainsi. J’ai envie d’avoir le temps de prendre le temps. Je connais l’impératif des dates limites et j’aime avoir une petite pression. Par contre, je n’aime pas paniquer. Oui, il y a tellement d’attentes, mais toutes de grandes choses. Je suis content et heureux. J’ai travaillé dur, et je suis reconnu. Je dois le faire, j’ai choisi de travailler dur, je m’efforce d’exceller. Si vous voulez être au sommet, vous devez savoir que c’est difficile. Vous devez faire face à la musique. J’apprécie tous ceux avec qui j’ai travaillé et qui m’ont soutenu. Ils me donnent aussi la chance de présenter mon travail. Je continue de faire autant de mon mieux qu’il y a quelques années.

« Pour voir l’inconnu, il faut s’ouvrir et évoluer pour devenir de meilleures personnes. »

Mongezi Ncaphayi

N : Quand as-tu commencé à la gravure ?

M : Cela fait plus de dix ans. Faire de la gravure fait parti de moi, je ne peux pas vivre sans. J’ai toujours besoin de faire des estampes. Pour moi, l’estampe ne consiste pas à prendre mes tableaux et à les traduire en lithographies ou en d’autres estampes. Si je peins quelque chose ou si je fais une estampe, c’est ce que c’est. Elles sont différentes. Quand on parle de gravure, il ne s’agit pas de reproduction. Certains clients ne sont pas vraiment bien informés sur la gravure. Ils ne comprennent pas la complexité, le travail et l’inspiration qui l’habitent. Vous ne trouverez pas une lithographie ou un autre format d’estampe qui ressemble à ma peinture.

N : Je suis fière de te représenter avec l’Atelier le Grand Village à 1-54 Londres en octobre, ainsi que Diane Victor et Bambo Sibiya.

M : Je suis honoré de faire parti de l’édition Londonienne 2019 de 1-54 en octobre prochain. Nous verrons ce qu’il en ressortira lors de cette résidence à l’Atelier le Grand Village. Je suis à la recherche d’un twist, et je pense que ça va être excitant.

Nadège (à Francis van der Riet, Directeur de l’Atelier le Grand Village) : Quand et pourquoi avez-vous choisi de travailler avec l’artiste Mongezi Ncaphayi ?

Mongezi Ncaphayi et Francis van der Riet à l’Atelier le Grand Village.
© Crédit photo Artskop3437

Francis : C’était en 2014. Mongezi Ncaphayi remportait le prix Gérard Sekoto en Afrique du Sud. J’étais intéressé par ce prix et aux personnes qui l’ont gagné. Mongezi est également graveur. Ses œuvres étaient inhabituelles parce qu’abstraites. Les artistes sud-africains ont tendance à être, dans l’ensemble, figuratifs. J’avais vu les gravures de Mongezi et j’ai pensé qu’elles avaient du potentiel et je l’ai approché pour lui proposer de travailler ensemble à l’atelier et qu’il apprenne la lithographie sur pierre. Je savais qu’il n’avait jamais fait de lithographie sur pierre auparavant.

J’ai également apprécié le sens de la spontanéité de Mongezi, sa forte connexion avec la musique et la façon dont il utilise les couleurs. En lithographie sur pierre, la couleur peut être importante et elle est très bien adaptée pour cela.

Mongezi a accepté l’invitation et tout a commencé à partir de là. Plus nous travaillons ensemble, plus il y a une synergie entre nous. Il revient régulièrement en studio.

N : Dites-m’en plus sur 1-54 à Londres en octobre ?

L’atelier présentera aussi d’autres œuvres créées par les artistes lors de leur séjour à l’Atelier le Grand Village, notamment les fameux dessins à la suie de Diane Victor.

N : Justement pouvez-vous me parler des autres artistes qui viennent à l’Atelier le Grand Village ?

Francis : J’aime à penser que l’atelier s’est créé son propre portfolio d’œuvres d’art à partir des artistes qui sont venus ici. Il est important pour le studio d’avoir une riche diversité, et il a donc besoin de différentes types de pratique artistique. Nous avons le figuratif, l’abstrait, le noir et blanc, la couleur, le repérage libre et exact, le paysage, les portraits…… Parmi nos artistes abstraits, il y a Valentin Stefanoff de Paris, la Franco brésilienne Celia Eid, et Mongezi d’Afrique du Sud. Cela donne de la richesse au studio. C’est pourquoi l’atelier influence aussi les artistes qui viennent ici. C’est excitant. On sent que l’artiste et l’atelier se nourrissent l’un, l’autre.

N : Vous êtes aussi lithographe ?

« La pierre ne pardonne pas, alors tu dois te lancer et poursuivre. Je pense que cela a aidé Mongezi à progresser dans sa peinture ».

Francis van der Riet, Directeur de l’Atelier le Grand Village

Francis : 1-54 a découvert l’Atelier le Grand Village l’année dernière. Ils ont été surpris de nous trouver dans ce coin reculé du sud-ouest de la France, et de découvrir que des artistes qu’ils connaissaient ont été en résidence ici. Ils nous ont rendu visite et nous ont donc invités en tant que « projet spécial » pour la foire d’art 1-54 de Londres en octobre de cette année. J’ai suggéré d’exposer Mongezi avec Diane Victor et Bambo Sibiya. Il y aura quelques travaux d’estampe, principalement la lithographie sur pierre. Notre objectif est de faire revivre l’art de la lithographie sur pierre. Nous réalisons également des tirages uniques, des linographies. Nous aimons combiner les différents supports.

Francis : Je suis le « master printer » au sein de Atelier le Grand Village. J’ai crée l’atelier il y a une dizaine d’années, mais la lithographie m’intéresse depuis longtemps. Une fois que j’ai installé l’atelier, je me suis rendu compte que je devais le partager avec d’autres artistes. J’ai grandi au Zimbabwe et en Afrique du Sud, et il semblait évident d’inviter des artistes de là-bas. Ils adorent venir ici. Je pense qu’il est utile que je comprenne d’où ils viennent et qu’ils se sentent à l’aise ici. C’est important.

N : Comment se passe le travail avec Mongezi ?

Francis : Nous travaillons en duo. Je fais un certain nombre d’estampes. Comme Mongezi adore l’estampe, il participe activement au processus. Il prépare avant tout les dessins sur les pierres, mais il aide aussi au grainage des pierres et au reste du processus d’impression. Le studio dispose d’une collection d’encres, et nous dialoguons sur les différentes couleurs. Le jardin est également très inspirant pour les couleurs que nous utilisons ici.

Francis van der Riet préparant la pierre qui va accueillir les pigments.
© Crédit photo Artskop3437
Vue de la grange (atelier) depuis le jardin de l’Atelier le Grand village.
© Crédit photo Artskop3437

N : Alors, vous travaillez beaucoup avec l’environnement et le jardin ?

Francis : Tout à fait, je pense que les couleurs sont inspirées d’ici, en fonction bien sûr de la période de l’année. Mongezi est venu ici à différentes périodes de l’année, y compris en hiver. C’est une grande influence, et j’aime à penser qu’il ne pourrait pas produire le même type de travail ailleurs.

Je pense que vous pouvez distinguer quelles œuvres proviennent de l’Atelier le Grand Village. Mongezi et les autres artistes s’y sentent chez eux. Il ne s’agit pas de venir une seule fois, mais plutôt de construire une relation sur le long terme. La lithographie sur pierre, demande du temps.

Atelier le Grand Village présentera de nouvelles œuvres de Mongezi Ncaphayi, Diane Victor et Bambo Sibiya lors de l’édition d’octobre prochain de 1.54 Foire d’Art Contemporain Africain à Londres.

Voir les œuvres disponibles sur le site

Atelier le Grand Village
7, le Grand Village
16310, Massignac
www.legrandvillage.net
instagram : atelierlegrandvillage